Il est désormais clair que, comme Antonio Damasio, je n’ai aucune attirance pour les écrits de Descartes et je considère qu’ils doivent être pris avec bien des précautions. Après tout, c’est un auteur du 17ème siècle [1]. Cependant, son influence est tout à fait perceptible encore aujourd’hui. Bien entendu, il faut le voir comme un maillon dans une longue histoire de la pensée, mais l’expression “cartésien” comme synonyme de rationnel, est ce que je conteste ici.
Nous considérons (presque) tous, que le raisonnement, basé sur des opérations mentales explicites (c’est-à-dire que nous pouvons exprimer en étapes séparées identifiables consciemment [2]), est la manière de laquelle nous prenons des décisions ou nous faisons nos choix. C’est le décryptage du fameux cas de Phineas Gage, qui nous montre l’erreur. Celui-ci, survivant un traumatisme affectant son lobe préfrontal [3] gauche, a vu son comportement totalement modifié, devenant d’un homme actif, cultivé et autonome, irascible, grossier et imprévisible. En tout état de cause, après son accident, il s’est montré, disons, incapable de se prendre en mains.
Avec les progrès, d’une part dans la physiologie et l’anatomie du cerveau et, d’autre part dans l’analyse des comportements, nous avons pu associer la capacité de ressentir nos émotions avec toutes les autres connaissances qui nous permettent de réaliser nos choix. Après tout, le raisonnement a comme fonction principale de nous permettre de résoudre des problèmes pratiques, adopter les stratégies et comportements qui nous sont les plus favorables. Une des conséquences dramatiques de la découverte du rôle des lobes préfrontaux sur le caractère a été à la base des modalités thérapeutiques détestables, institutionnalisées au cours du 20ème siècle, leucotomie [4], puis lobotomie [5], pratiquées sur des individus au comportement antisocial et autres maladies mentales]]. La conclusion imparable, est que sans ressentir les émotions, l’humain s’avère incapable de faire des choix, donc de raisonner. Notre conception donc de ce raisonnement, doit être revisitée et la place des émotions rétablie. Nous ne sommes pas des êtres purement rationnels, mais bien un mélange d’affect et de raison.