Privé vs public, des frontières mouvantes

Le cas de Rome ou la profonde modification de l’espace des visibilités

Nous avons, à plusieurs reprises, fait référence aux conséquences de la différentiation du corps social. Il est tout à fait saisissant qu’il n’existe pas, en grec, de terme équivalent à « société ». Le mot « synonyme », utilisé encore aujourd’hui, signifie communion. L’émergence de l’espace social sera plus tardive, pendant la période romaine, mais pourquoi ? De nouveaux groupes organisés se sont constitués. Prenons l’exemple des artisans qui, pour exercer leurs fonctions, avaient aussi besoin d’une existence publique, d’une visibilité, indispensable à cet exercice. L’espace public se trouve ainsi occupé par des étals et des ateliers. Ce que nous appellerons l’espace social, nouveau lieu des visibilités, se constitue au détriment, d’une part de l’espace politique, d’autre part empiète de plus en plus sur l’espace privé, car la vie en société nécessite aussi l’élaboration de règles de vie commune, qui s’immiscent dans la sphère plus complètement privée.
Nous pourrions, par facilité, considérer que le forum romain était l’équivalent de l’agora grecque, le centre politique de la cité. Certes, du temps de la République, le lieu avait une signification politique et comportait une tribune des orateurs où étaient exposées les lois. Cependant, en tant que place centrale de la cité (qu’il est progressivement devenu), s’y trouvaient mêlées des activités religieuses et commerciales.
Avec l’avènement de l’Empire, à la mort de Jules César, la principale institution politique, le Sénat, perd de son importance et l’exercice du pouvoir n’a plus besoin de la visibilité. Le forum sera toujours le lieu de célébrations (on y trouvera des arcs de triomphe), mais l’exercice du gouvernement se soustrait à la vue de tous et ce, pendant de longs siècles (nous avons vu qu’il se confondait, souvent, avec des intérêts privés des régnants), jusqu’à ce que la socialisation de l’exercice du pouvoir ne le fasse basculer, à nouveau, dans la sphère publique, mais pas encore en pleine visibilité, ce qui n’interviendra qu’avec la démocratisation des institutions, à partir du XVIIème siècle.
Vous aurez l’occasion de découvrir à quel point les formes mêmes de la cité et son aménagement comportaient des aspects symboliques, donnaient à voir les mœurs politiques et les inégalités sociales (une inscription symbolique dans l’espace urbain). Les cités mycéniennes de l’Age du bronze étaient dominées par le palais du roi. Rien de tel à Athènes où, au contraire, prédomine l’Acropole, lieu de culte, le cœur de la cité étant l’Agora, aux pieds de l’Acropole. En élargissant l’examen à d’autres civilisations, dont on nous parle plus rarement, notamment dans les Amériques, on se rendra compte de la pluralité des formes des cités, de l’éthos politique associé à chaque forme et la civilisation correspondante, avec ses croyances et sa spiritualité.

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