Privé vs public, des frontières mouvantes

Privé vs public, où en sommes-nous aujourd’hui ?

L’évocation actuelle de ces termes est, le plus souvent, présentée comme comprise par tous. Il s’agirait de notions univoques. Pourtant, les situations qui soulèvent des ambiguïtés ne manquent pas. C’est encore une fois le résultat de la pensée essentialiste, portant sur des idées pures, déconnectées de leur contexte, de leur histoire et de l’ancrage culturel qui leur donne du sens (mouvant). S’y mêlent, en définitif, des oppositions, dont le fond et la forme évoluent et qu’on ne peut saisir que par l’analyse sociohistorique. Comment les situer sans traiter aussi les questions d’individuel [1] et de collectif (qui en fait partie ?), des formes d’exercice du pouvoir, despotique ou plus « démocratique », des institutions ayant une existence propre ou incarnées par de grands personnages ? La question est vaste et nous ne faisons que l’évoquer ici. L’opposition privé – public ne peut s’affranchir, aujourd’hui, de toute discussion sur « les communs », autre notion cacophonique. Détenir, de manière privée, une partie des ressources, signifie les soustraire aux biens communs [2]. L’espace public est aujourd’hui envahi par des activités privées (pensez à l’omniprésence de la publicité) et la préservation du caractère privé de certains aspects de la vie devient de plus en plus difficile, au point qu’une nouvelle frontière a été inventée : l’intimité.
Comment apprécier les formes de gouvernement ou la manière de gouverner, ce que le terme gouvernance tente de capturer ? Bien des pays où des élections ont été instituées, sont, en réalité, dirigés par des autocrates, voire d’authentiques despotes qui assurent leur réélection par la fraude et gouvernent dans leur intérêt. Si l’Etat est censé présider sur les intérêts publics (il en est devenu l’incarnation), la réalité peut s’avérer plus contestable. Les trajectoires de développement, dans un monde globalisé, génèrent encore des situations que certains qualifieraient de néocoloniales et qui masquent, sous différents prétextes, le pillage des ressources. La longue histoire de la socialisation du pouvoir [3], pour ne parler que de l’Occident, ne saurait se reproduire « naturellement », par des greffes de conceptions et d’institutions exogènes, partout ailleurs. Posons-nous la question sur la Chine, qui a développé une pensée politique et un éthos de gouvernement basés sur les enseignements de Confucius et n’a jamais développé de culture démocratique, dans le cadre d’une civilisation, au demeurant, remarquable et susceptible de rivaliser avec l’Occident [4].
Pourquoi observons-nous des crises politiques récurrentes, parfois la désillusion et la méfiance des citoyens face à des gouvernants de moins en moins crédibles ? Pouvons-nous avancer ensemble, sans remettre en cause le modèle de société qui nous est imposé comme incontournable ? Le sens même de la démocratie ne doit-il pas être revisité ? Les profondes asymétries de pouvoir et les inégalités socio-économiques, toujours croissantes, sont-elles compatibles avec des finalités comme la résilience ou la soutenabilité ? Finalement, doit-on tourner la page sur la question de notre « nature », animal politique pour Aristote ou poursuivant ses intérêts égoïstes, en suivant Thomas Hobbes ou les idéologues néolibéraux ? Devrions-nous viser une nouvelle anthropologie, dégagée des préjugés idéologiques ?

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Notes

[1Mais, l’individuation ou la découverte de sa singularité, a aussi une histoire, au moins à partir du XVIIème siècle

[2Notons que la propriété privée n’a pas, en elle-même, produit le virage capitaliste ; c’est la possibilité d’accumuler les richesses, sans limites, un nouveau processus, qui amène cet autre virage, puis les opportunités de les investir, les faire fructifier

[3Nous pourrions rajouter sa désacralisation

[4Les comparatistes ont démontré que les chinois ont produit une science sophistiquée, en mathématiques et en physique, mais différente de celle de l’Occident

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