L’Economie contre la Société

Retour sur le progrès dans l’histoire

Je me suis permis, précédemment, de contester l’existence d’un progrès dans l’histoire que peut contredire l’apparition de nouvelles barbaries, le cas du nazisme étant emblématique, mais pas isolé. Croire au progrès signifie que demain sera toujours mieux qu’aujourd’hui, mais en quoi ? Des thèses contradictoires ont été défendues, par exemple, par Jean-Jacques Rousseau qui contrastait l’homme dans son état de « nature » à celui en société [1] ou Hegel, penseur du progrès (moral) dans l’histoire [2]. Du coup, le problème ne réside pas dans l’idée elle-même, mais dans ce que l’on entend par progrès, matériel ou moral. De plus, les pêchés ethnocentrique et anachronique nous guettent toujours. Ils consistent à juger des sociétés passées par rapport aux systèmes de valeurs actuels, ceux d’une culture, en faisant l’impasse sur l’histoire, l’évolution des connaissances, des valeurs, des représentations, nécessairement diverses.
Intéressons-nous à la violence, massacres, guerres ou autres crimes de sang et reprenons le fil du temps. Environ 200 ans de travaux ethnographiques, auprès de sociétés simples, dites primitives, ont révélé à quel point celles-ci étaient violentes et se livraient à une lutte récurrente avec leurs voisins. Ceci contraste avec la vision romantique de ces êtres, plus proches de la Nature que nous. De plus, nous avons vu que leur éthos était franchement égalitaire, mais au sein des clans et tribus qu’ils formaient.
Une indication est fournie par Emile Durkheim, un des fondateurs de la sociologie, qui explora le concept de solidarité, comme ciment du corps social. Dans les sociétés primitives, la solidarité, nous dit Durkheim, est de type mécanique, elle se base sur la similitude. Dit autrement, la solidarité était conçue entre semblables, membres du même groupe social, alors que l’hostilité et la violence s’exprimaient vis-à-vis de groupes différents, appartenant à une autre ethnie ou culture. Avec la complexification des sociétés (interdépendances croissantes), une nouvelle forme de solidarité émerge, Durkheim la qualifie d’organique, car basée sur les complémentarités, une métaphore par rapport à l’organisme et ce qui était perçu comme forces qui en maintenaient l’intégrité. Ces métaphores, dites organicistes, ont souvent alimenté l’inspiration de différents penseurs, à travers les âges (Voir par exemple Saint Simon et la métaphore des réseaux ou faites des recherches sur les physiocrates à partir du milieu du XVIIIème siècle).
Nous avons vu aussi que la centralisation du pouvoir impliquait la monopolisation de la violence légitime, physique et symbolique, processus qui culmine avec la constitution des Etats-Nations. Toutes les analyses historiques, y compris grâce aux premières statistiques, montrent que cette transition a conduit à la réduction globale de la violence dans les sociétés nationales (un progrès). Il faut, néanmoins, rester prudent, car cette pacification n’est pas la même partout et dépend de facteurs culturels et politiques, qui fournissent une première explication de ces différences. Ainsi, aux Etats-Unis, les statistiques des meurtres montrent un grand écart par rapport aux pays européens [3] et la spécificité culturelle est confirmée, car il suffit de franchir la frontière du Canada, pour retrouver des chiffres semblables à ceux des autres pays développés et très inférieurs à ceux des voisins étasuniens.

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Notes

[1Il parla des inégalités parmi les hommes dans un texte célèbre, mais qui ne traitait que des inégalités au plan moral

[2Certes, il n’a pas été le premier, mais, de manière remarquable, il a fait remonter la séparation entre les humains et la Nature (subsumés, désormais, en une entité extérieure, Dieu) aux suites du déluge, qui marqueraient, selon lui, le début de la civilisation

[3L’accès libre aux armes y contribue, sans doutes

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