Toujours les mots : risques ou menaces ?

Il existe en conséquence un danger que les discussions environnementales, conduites exclusivement en termes chimiques, biologiques ou technologiques, inclura, par inadvertance, des êtres humains comme matériaux organiques. […] il court le risque d’une discussion atrophiée sur la nature sans personnes, évitant de questionner des affaires de signification sociale et culturelle. U. Beck, The Risk Society, 1992, p24 (trad. pers.).

En faisant l’analyse lexicale entre risques et menaces, pourtant utilisés de manière indiscriminée par ceux qui manquent de rigueur, je cherche aussi à vous débarrasser de l’obsession de la prédiction et l’illusion de puissance qu’elle confère. Le risque est par design un concept probabiliste ; et la menace [1] ? Cette dernière peut être ressentie comme une ombre qui plane au-dessus de nous, teinté d’incertitude et de crainte. Elle est comme sourde et oppressante et ne pourrait que difficilement être exprimée comme une probabilité (chiffrée). Certains cherchent à distinguer les deux par la sévérité ou la portée. Si le changement climatique entraine toute une série de risques identifiés, exprimables numériquement ou en degrés de certitude, il fait aussi peser la menace d’extinction de l’humanité et j’ajouterais, tant nous constatons le manque de volonté politique de la prendre au sérieux. Une menace ne s’explique pas, elle nous saisit, sans appui sur un possible calcul. A ce titre, elle pourrait être plus rapprochée du danger, dont nous prenons conscience de la possibilité de réalisation, qu’au risque comme probabilité calculable.
Les conditions qui prévalaient pendant la première révolution industrielle, accordaient la priorité à l’augmentation des richesses, sans attention particulière aux conséquences que les économistes appellent externalités (comme si ce risque n’était pas leur problème). Or, aujourd’hui, le risque est moteur et conditionne l’acquisition des richesses, d’où une nouvelle opposition entre Principe d’innovation et . Surtout, un fait tout aussi gênant est apparu concomitamment : le constat de la distribution inégale du risque. Là où le droit du travail a pu apporter des améliorations en milieu professionnel, que dire de populations qui voient leurs lieux de vie menacés par la pollution, l’urbanisation, l’artificialisation, autant que la relégation sociale, dont les dimensions ont été portées à des niveaux sans précédents ? Alors qu’aux siècles passés on pouvait y discerner la lutte des classes ou celle pour l’appropriation des richesses, au nom d’un collectif, de plus en plus c’est l’insécurité face aux dangers et menaces qui domine, alors qu’en réalité ils seraient manufacturés, selon l’expression de U. Beck. Le risque ou la façon de s’en prémunir devient une commodité, recevant un prix, au bénéfice réservé à ceux qui en ont les moyens et le pouvoir.
Peuvent de fait se distinguer deux volets qui ne se rejoignent pas : d’un côté l’évaluation et la gestion des risques, de manière experte, surplombante, de l’autre la prise en compte dans une analyse critique de problématiques de rapports de pouvoir et donc de justice, dans les champs social et politique. Je propose de ne pas les traiter à part, mais de tenter de les considérer ensemble, en positionnant les notions de risque ou de menace comme des faits sociaux. Ne cherchez pas la définition du fait social chez Durkheim [2] (c’est vrai qu’il fut le premier à l’utiliser). Pour ma part, il s’agit d’un fait dont peut s’emparer un corps social (ou divers groupes en son sein) et qui produirait des remous, des contestations, des mouvements d’opposition, des alliances (parfois hétérogènes), y compris en faveur de conceptions de la société et du vivre-ensemble qui se distinguent de celles prononcées par ceux qui détiennent le pouvoir et s’appuieraient prétendument sur la science. Appelons-les des actions de résistance, souvent locales et propres à une société concrète, dans le cadre de ce cours la notre (occidentale [3]).

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Notes

[1Quand on annonce à un patient qu’il a 50% de « chances » de s’en sortir, comment se sent-il ?

[2On s’éloigne aussi de la notion de fait social total, proposé par M. Mauss, mais partant toujours de l’idée que le fait social ne peut être détaché d’une société particulière, dont la culture lui donnera du sens

[3En quoi aurait elle cette supériorité qui lui donnerait le droit de s’imposer à la diversité des cultures non occidentales

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