En prolongeant le raisonnement précédent, le développement, comme unique modèle de progrès (une nouvelle religion au XIXème), avec sa promesse de l’accroissement - à l’infini - des richesses matérielles, n’a pas anticipé ses conséquences. J’ai déjà noté cette curieuse notion d’externalités qui présume que toute activité économique est exemptée de l’obligation d’assumer les conséquences, toutes les conséquences, de sa mise en œuvre. Et les criantes inégalités en termes de bénéfices ou de risques ?
Par ailleurs, la temporalité nécessairement décalée, entre la première élaboration théorique, la mise en œuvre et la confrontation aux effets imprévus, fait que nous découvrons les problèmes à un stade avancé. Certes, l’idée d’un lien entre émissions de CO2 et climat a été évoquée par Arrhénius à la fin du XIXème siècle, comme l’hypothèse d’une influence sur le climat de la déforestation avait été suggérée au tournant des XVIII et XIXème. Ce n’est que tardivement, dans la deuxième moitié du XXème que l’idée du dérèglement climatique et ses causes a pris le devant de la scène. Les pollutions autorisées administrativement, p.ex., les PCB (toxiques, persistants, bioaccumulables, cancérigènes, perturbateurs endocriniens…) ou les PFAS (polluants éternels et hautement toxiques), sont d’autres illustrations (massives) de l’imprévoyance des chantres du progrès technologique, comme la prévalence généralisée de la pollution par les micro-plastiques, dont plus aucun milieu (naturel ou pas) n’est exempt.
Lors de l’instruction des autorisations de mise sur le marché de substances potentiellement toxiques, on se limite aux conclusions des experts toxicologues, avec (implicitement) en toile de fond des études coût-avantage (pour qui ?). Si nous souhaitons élargir le débat pour comprendre ainsi l’utilité sociale, quelles conditions devraient être réunies ? Quel serait le tour de table légitime ? Admettons même qu’il soit possible de soumettre au débat la compatibilité d’une classe de produits avec le nouveau récit de sobriété. Comment gère-t-on (objectivement) les conflits entre les exigences du marché et la préservation de la vie ? Serait-ce une pure affaire d’expertise ? De toutes les façons, nous serons conduits à reformuler le problème, par-delà la simple opposition, nocif ou non. Le débat (sociétal) est déplacé contre la confiance en l’expertise et sa vérité officielle. Tout ceci dans un contexte global où il ne s’agit plus d’effets secondaires du progrès, notion devenue confuse dans le sillage des totalitarismes du XXème siècle. Affronter les nouveaux défis (santé, climat, écosystèmes) prendrait le pas sur le reste. C’est la seule issue.
Nous n’avons pas quitté le champ du risque, simplement j’ai essayé de le positionner dans les interactions sociales. Dit autrement, quand tel ou tel risque « résonne » au sein de la société, observons-nous des effets sur les relations sociales (regroupements, retraits, revendications, oppositions…) ?
Il faut se résoudre à une vision relationnelle de la société et éviter toute approche individualiste, reposant sur des particules contractantes égoïstes. La réaction collective face au risque nous conduira à proposer des descripteurs comme, groupe social, communauté, parfois pragmatiquement, association ou collectif, dont nous essayerons de comprendre les points de vue. D’autres points de vue contrastés seraient à interroger, autorités locales, municipalités, préfectures, administrations… Peut-il y avoir dialogue ? Cette question nous intéressera pendant les TD de janvier.