Depuis le début, j’ai tenté d’éviter la question : « qu’est-ce que le risque ? », m’amenant à rechercher la bonne définition ou, si vous voulez, son essence. Je lui préfère : « que fait le risque ? », en me fiant aux réactions de ceux qui se sentent concernés par celui-ci : victimes, familles, riverains, consommateurs… Je remarquerais aussi que, dans l’ensemble, le terme risque est mobilisé par les utilitaristes dans une connotation systématiquement négative. Le modèle dit de « l’aversion au risque », un supposé mécanisme psychologique (inné) s’est imposé - comme rationalité - dans le domaine de la gestion des risques. Il est tout à fait contestable, tant logiquement qu’empiriquement. Toute épreuve que nous rencontrons dans notre parcours implique un apprentissage (un coût), avec prise de risque (nous mettons en cause nos schémas cognitifs passés avec le risque de se tromper). Je pourrais aussi dire qu’il faut prendre un risque pour apprendre - on apprend surtout de ses erreurs - ou, que nous ne réaliserons jamais les limites de nos capacités sans prise de risque. Ils font partie du cours de notre vie.
En creusant tout autour de la notion moderne de risque, nous découvrons de nouvelles dimensions (des clivages aussi), j’ai déjà cité l’acceptabilité. Je n’ai peut-être pas dit que celle-ci serait complexe et plurielle. Vous trouverez ailleurs dans les cours (la perception du risque) une comparaison, faite par Paul Slovic entre sévérité (fréquence et étendue des dommages) et gravité (subjective), telle qu’évaluée par des citoyens ordinaires. L’analyse révèle de grandes disparités. Des risques considérés connus (ou assumés) peuvent être sous-évalués (risques domestiques ou conduite automobile), alors que d’autres, très improbables et peu réalisés (le nucléaire) peuvent être particulièrement craints. Il n’est pourtant pas si illogique de craindre des risques aux répercussions multigénérationnelles. On ne saurait parler d’irrationalité.
Et puis, il y a la question de la responsabilité. Qui garantit la loyauté des contrôles et procédures appliqués au risque ? Qui attribue la paternité des choix fautifs ? Y a-t-il, in fine, un arbitre considéré impartial ? Se mêlent des considérations, non seulement techniques, mais juridiques, administratives, politiques et éthiques, dès lors que l’équité est exigée en plus de la sécurité. A l’expertise officielle répondront d’autres données, générées par des organisations civiques, dans un rôle d’enquêteurs ou expérimentateurs, avec l’appui de chercheurs engagés. Ils contestent la vision experte, partant de leur expérience quotidienne, qui témoignerait d’une « réalité vécue » bien différente.
Enfin, à qui profite le crime ? J’ai déjà observé que le pétitionnaire, celui qui sera le producteur de risque, est aussi le principal bénéficiaire. Il faut, réglementairement, qu’il apporte la preuve de l’innocuité de son produit au moment de la demande d’autorisation. En revanche, dans combien de cas il y a eu révélation d’insuffisances, d’omissions (des tromperies ?), sanctionnées parfois par les tribunaux, a posteriori ? L’histoire est longue et la mémoire tenace, d’où méfiance et contestations. Le risque est bien plus que vous ne le pensiez.