Vous aurez encore l’impression que je dérive. La question de la domination va nous accompagner tout au long des cours. Elle découle de la priorité que nous accordons à la justice sociale qui se retrouve partout. Pour ceux qui y souscriraient, je remarquerais que nous faisons face à d’autres (des ultra-libéraux, p.ex.) qui prétendent que celle-ci mène au totalitarisme ! Néanmoins, nous essayerons de lui donner du sens dans différents contextes ou situations, au travers notamment du constat des inégalités sociales de santé. Le risque se révèle comme prétexte de cette domination, qui se traduit par les asymétries marquées, déjà évoquées, reçues par les groupes sociaux défavorisés comme injustes à leur égard. Une société profondément inégalitaire [1] fournit un terrain propice à leur émergence.
Chacun de nous considère, je suis certain, qu’il est en mesure de prendre des risques (raisonnés), au quotidien et en fonction de la valeur accordée aux buts poursuivis, ou de biens à préserver. Après tout, la satisfaction de la vie, en vaudrait la chandelle. Si une aversion à certains risques peut suggérer un biais ou un principe (psychologique) dans ce sens, c’est notre incapacité de les apprécier et y faire face (au cas par cas) qui en serait l’origine. Nous sommes pris au dépourvu par des promesses inhérentes aux innovations technologiques et, privés de pouvoir d’agir, sommes poussés à rechercher des assurances extérieures quant à leurs conséquences. Je pense bien sûr aux services de l’état, en premier, ou ceux des collectivités. Lesquels de nos interlocuteurs seraient dignes de confiance ? Leurs propos émanent-ils d’une source légitime, sont-ils pertinents par rapport aux questions que l’on se pose, semblent-ils crédibles ? Comment s’assurer que nous ne sommes pas manipulés et au bénéfice de qui ? Qu’est-ce qui pousse le curseur dans le sens de la confiance ou de la défiance ? Vous l’aurez remarqué, j’ai adopté explicitement le point de vue de ceux qui subissent le risque [2] : une violence symbolique (parfois même physique), comme expérience de domination. Et, comme dit précédemment, la domination peut susciter des résistances.
Je viens d’esquisser un premier cadre de référence, ou une grille conceptuelle si vous voulez, que nous complèterons et chercherons à expliciter par des cas concrets. Il a fallu donner une expression à la société, comme ensemble de relations, tendues et labiles, souvent conditionnées à l’adhésion des individus à tel ou tel groupe social et non une collection d’individus égoïstes [3]. Pouvons-nous passer outre les rapports de domination et traiter les groupes d’acteurs sans référence à leur pouvoir d’influence ? Par simplicité j’ai précédemment positionné le risque comme fait social. En réalité, ce n’est pas la notion abstraite qui nous intéresse, mais un risque concret, tel qu’il se présente à la société et que, nous pourrions dire, donne lieu à une séquence d’événements. En l’espèce, ce sera les pesticides. Leurs promoteurs ont eu des arguments (publicitaires), mais doit-on encore les croire ?
Outre les positions exprimées dans les situations ordonnées, débats publics, tribunaux, nous bénéficierons de témoignages d’acteurs impliqués. Nous voulons comprendre comment de vraies personnes appartenant à la catégorie des acteurs citoyens, prennent d’abord connaissance d’un fait, puis prennent conscience d’un possible risque, avant de délibérer sur le cours de l’action, une réaction en réalité. Dès lors que nous abandonnons l’idée d’une vérité indiscutable, portée par l’expertise, nous avons affaire à une pluralité de points de vue sur la vérité, qui s’affrontent. Pouvons-nous repérer des lignes de fracture ? Y a-t-il espoir de rapprochement des positions, d’une réconciliation négociée ?