Vous pouvez tous examiner votre expérience et reconnaitre qu’il y a des moments où vous sentez la moutarde vous monter au nez - une colère, un état du corps, instinctif, précédant toute rationalisation. Une situation typique est quand quelqu’un nous passe devant dans une queue. Dans notre vie nous apprenons à verbaliser cette réaction instinctive comme sentiment d’injustice [1]. Nous formons alors l’idée de justice (par contraste) qui pourra évoluer en fonction de notre expérience de vie. Ce trait inné minimaliste en est le déclencheur et en tant que biais attentionnel, il oriente l’action, sans la déterminer [2]. Tout au long de notre vie il sera éduqué, peaufiné par l’expérience, façonnant nos attitudes et comportements devant toute injustice ressentie.
Quelle place occuperait le sentiment d’injustice dans la motivation des organisations de la société civile contestant les autorisations de mise sur le marché devant le tribunal administratif ? Il agit comme renforcement, on dirait qu’il décuple l’engagement, face à la toute puissance du producteur du risque. En même temps il crée ce lien fédérateur, qui rassemble le public, des citoyens, autour d’une problématique sociétale. Certains y verraient une politisation, dans le sens originel du terme. Après tout, ce n’est pas des intérêts particuliers qui sont en cause (sauf pour l’industriel bien sûr).
Le sentiment d’injustice émerge dans une situation, vécue comme domination ou violence symbolique. Cette dernière est nourrie par l’énorme différentiel de pouvoir et d’influence, entre le pétitionnaire, susceptible de profiter grandement d’une autorisation de mise sur le marché, et ceux qui se considèrent victimes de l’exposition à leur produit toxique. Les grandes firmes productrices (voir aussi ) ont fait la preuve de leur capacité à peser sur des décisions à tous les niveaux. D’un côté une pression (lobby) qui s’exerce dans les coulisses, de l’autre, la voie de la contestation judiciaire et sa médiatisation.
Je ne sais si l’image d’ingrédients des controverses serait juste, en tout cas les sentiments d’injustice et de domination les alimentent, les renforcent. Nous pouvons mieux situer les controverses, comme une mobilisation à l’origine des processus de transformation sociale. Le savoir n’y échappe pas et lui-même sera soumis au crible du jugement social, non pas sur sa véracité, mais sur sa crédibilité. Souvenez-vous, l’impartialité de l’agence est en cause, dès qu’il y a sentiment que le producteur du risque semble bénéficier de privilèges, contre la demande de garantie de sécurité, sous la responsabilité des pouvoirs publics et leurs représentants.