La première directive européenne réglementant les pesticides a été adoptée en 1991 (directive 91/414). Elle sera notre point de départ. Dès la fin des années 1990, des signaux d’alerte sont émis, à cause de la contamination généralisée des masses d’eau, de surface ou souterraines. J’insiste, ces préoccupation ne se sont pas exprimés directement du fait de preuves de dommages sanitaires. Au début des années 2000, l’affaire des pesticides mobilisait quelques militants, malgré l’ancienneté de l’émergence des alertes, depuis le Printemps silencieux de Rachel Carson, publié en 1962. Mais, des études épidémiologiques se sont aussi accumulées, démontrant les impacts sanitaires de produits autorisés, puisque considérés sans danger. Des centaines de molécules seront retirées du marché dans les années suivantes. L’Institut de recherche agronomique (INRA [1]), publie en 2005 son expertise collective qui sonne l’alarme : le modèle agrochimique français ne serait pas soutenable.
La révision de la réglementation européenne est inévitable. Un débat s’instaurera entre l’approche par la prédiction, réunissant les partisans de la gestion par le risque et l’approche par la précaution, passant par le danger (le degré de préoccupation suscité). Certaines substances dangereuses seront interdites d’emblée. Un nouveau règlement sera finalement adopté en 2009 (1107/2009) ; il précisera la notion de substance préoccupante et surtout inclura des mentions du principe de précaution.
Le règlement sera transposé en droit français en 2012, mais les zones tampons, obligatoires, ont été oubliées. Un arrêt du Conseil d’état, en juillet 2019, donnera six mois au gouvernement pour y pourvoir. L’Agence a sorti un rapport, minimaliste, prétextant le manque de données et d’outils. Il suscita une vague d’arrêtés municipaux, pris devant la carence de l’état. Un autre arrêt, de juillet 2021, sommera l’État à combler ce manquement. L’Agence restera sur des distances minimales (3-5m, 10m pour les substances préoccupantes) et se proposera de conduire de nouvelles études, malgré la littérature internationale conséquente. Il faut reconnaitre la complexité de la situation et la difficulté de produire les incontournables fonctions exposition-risque dans le cas de pollution aérienne par les pesticides, un phénomène largement documenté par les Agences de surveillance de la qualité de l’air.
En attendant, des autorisations (AMM) sont attaquées au Tribunal administratif. Je schématise ici l’esprit des arrêts. Le juge remarque que les procédures d’expertise semblent être les mêmes qu’avant l’adoption du règlement de 2009 et demande quelles mesures ont été prises pour respecter le principe de précaution. Des tests, en particulier de cancérogénicité, n’auraient pas été pratiqués par le pétitionnaire. Des AMM sont annulées. Reconnaissons, que nous parlons d’enjeux scientifiques et techniques, alors que nous retrouvons, plutôt, une fracture sociétale, autour du modèle industriel de production agricole, des préférences alimentaires, voire du rapport à la terre. Quelle est, en définitif, la place de la science et que peut-elle nous offrir ?