Les risques comme levier politique

Les disputes sur la relation entre faits et valeurs, les arguments au sujet de comment les données sont collectées et emballées, ainsi que des querelles à propos de la possibilité même de l’objectivité, peuvent être vus comme dérivant, au moins partiellement, des bizarreries introduites dans l’unité épistémologique du fait moderne. M. Poovey, The History of the Modern Fact, 1998 (trad. pers.).

Notre positionnement, vous l’aurez compris, ne peut être saisi par une seule discipline ou domaine. Même pour les risques sanitaires, nous pourrions difficilement défendre une approche reposant sur la seule santé publique [1], thème qui reviendra tout au long du parcours. Diviser le problème en parties, puis les attribuer respectivement à une série de disciplines, individuellement (pluridisciplinarité), ne saurait non plus nous satisfaire. devient un enjeu et ceci est loin d’être simple ou relever du « y a qu’à ». En somme, nous sommes appelés à statuer non plus sur le risque et sa réduction, dans un cadre constant, en acceptant, en défendant peut-être, le système actuel et ses dérives, mais s’interroger sur le sens d’un changement souhaitable, avec y compris de nouvelles finalités (d’où des valeurs) et formes de gouvernance. Il ne faut pas y voir des principes abstraits, mais un remaniement des relations sociales (un soulagement des rapports de pouvoir), y compris l’assouplissement des inégalités. Nous ne pouvons plus exclure de notre périmètre les risques sociaux ou les réduire en facteurs de vulnérabilité.
C’est encore l’histoire qui nous servira de guide car, comme il est courant, nous croyons avoir tout inventé, récemment, négligeant les débats et actions passés et les contextes dans lesquels ils se sont manifestés. Nous oublions que les procédures de gestion des risques, d’obligation d’information, voire celle de la participation du public, ont déjà été esquissées au XIXème siècle, certes sous des formes primitives et qui ont évolué dans le temps [2]. A chaque étape, elles s’insérèrent dans la volonté de mettre en place de nouveaux régimes politiques, libéral au cours du XIXème, néolibéral à partir de la fin des années 1970, chacun avec son narratif et ses promesses. Des idées ont été anticipées, même s’il a fallu du temps pour leur traduction en règlements, institutions et procédures. En parallèle, l’affaiblissement de certaines formes sociales de solidarité, par l’individualisation croissante, n’a eu de cesse d’apporter de nouveaux risques, comme le chômage [3]. L’ANPE a été créée par ordonnance en juillet 1967. De manière similaire, le risque familial a été couvert par les allocations familiales, au sortir de la 2ème Guerre mondiale, alors que l’affaiblissement de l’institution mariage a eu comme conséquence l’apparition d’une nouvelle catégorie défavorisée, les familles monoparentales. Enfin, citons l’allongement de l’espérance de vie qui a nécessité la création d’une nouvelle branche de la sécurité sociale, en 2021, visant les personnes âgées dépendantes. Que resterait-il des lois statistiques immuables ?
En clair, nous aurions pu insister sur les « progrès » dans les dispositifs et procédures de gestion de risques, passant outre le fait de leur fabrication opportune. La révolution verte a vendu la promesse de l’accroissement des rendements agricoles, grâce à la chimie, en admettant l’idée d’un éventuel risque, certes toxique (en premier lieu pour les utilisateurs), mais parfaitement maitrisé. Rachel Carson, dans son livre, le Printemps silencieux (1962), apportera la preuve du contraire, mais le débat sur les pesticides reste particulièrement clivant à ce jour, plus de 60 ans plus tard. J’aurais pu prendre l’exemple de l’énergie fossile, dont la consommation incontrôlable continue à dérégler le climat et détruire les écosystèmes, tout en apportant pouvoir et richesse à un petit nombre, qui s’y accrochent avec acharnement.

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Notes

[1Elle tend aujourd’hui à se confondre avec l’épidémiologie

[2Entre l’explosion de la poudrerie de Grenelle, en 1794 (plus de 500 morts) et celle de l’usine d’AZF, en 2001 (une trentaine de morts), qu’avons-nous appris ?

[3La problématique remonterait au moins au début du XIXème siècle, mais son traitement selon un système assurantiel, basé sur des cotisations est tardif

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