Question sur : Pourquoi en 1977 il a été décidé qu’il était urgent d’attendre ! En réponse à :

Sujet : Pourquoi en 1977 il a été décidé qu’il était urgent d’attendre !

R�pondu le mercredi 30 mai 2012 par Gasteuil Muriel

La cancérogénicité de l’amiante a été connue dès les années 1960 et pourtant aucun pays européen n’a procédé à cette époque à une interdiction de l’amiante. Tous les pays ont d’abord, y compris la France, essayé de l’utiliser de façon sécuritaire.

Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) classe toutes les variétés d’amiante cancérogènes en 1977. « En France, ce n’est qu’en 1977 que la première valeur moyenne d’exposition professionnelle sur 8 heures (VME) était adoptée. Elle était fixée à 2 fibres/ml par le décret n° 77-949 du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d’hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l’action des poussières d’amiante. »
Donc en 1977, la réglementation se durcit. Pour la filière amiante, la réglementation, ne doit pas entraver l’activité du secteur, l’amiante c’est de l’emploi, l’emploi, c’est la croissance. Il ne faut donc pas toucher à l’amiante. A l’époque, la France est le premier transformateur d’amiante en Europe.
C’est je pense le premier argument qui a motivé les décideurs à ne pas interdire les utilisations de l’amiante en France. On savait que le matériau était mortel, mais les intérêts économiques ont prévalu sur la protection des travailleurs.
« D’un côté, des industriels défendaient l’idée qu’il était possible de faire un usage contrôlé de l’amiante. [...] De l’autre côté, des organisations syndicales se pliaient à ce type de compromis pour défendre l’emploi. Il n’est pas possible de placer les travailleurs devant le dilemme du choix entre le cercueil et l’ANPE, c’est-à-dire travailler en risquant de mourir ou le chômage ».

Les arguments pour justifier ce retard dans la prise de décision de la France (20 ans) pour interdire définitivement les utilisations de l’amiante sont :
 tout d’abord, les caractéristiques exceptionnelles de l’amiante qui est qualifiée à l’époque de « magic mineral ». Elle est utilisée pour ses nombreuses propriétés telles que sa résistance aux hautes températures, aux bactéries et à la plupart des agents chimiques, ses qualités isolantes tant thermiques que phoniques mais et surtout l’amiante est un matériau peu cher. Et de plus surtout à l’époque, il y a une véritable méconnaissance sur la dangerosité des produits de substitution.

 Les « incertitudes scientifiques » l’absence de preuves scientifiques de la dangerosité avérée de l’amiante «  le gouvernement soutient que cette politique [l’usage contrôlé de l’amiante] était adaptée aux connaissances scientifiques du moment et a été durcie au fur et à mesure que d’autres connaissances étaient acquises »,
M. Aubry qui a, à l’époque, des responsabilité au ministère du Travail, justifie la décision de l’époque en ces termes : « Parce qu’il y a aujourd’hui des milliers de produits toxiques et des dizaines de produits cancérigènes dans les entreprises comme dans notre cuisine ou notre salle de bain,… tout le problème est de savoir si, à tout moment, nous faisons bien en sorte que l’usage tel qu’il en est réalisé met totalement à l’abri les consommateurs, les utilisateurs et les salariés des risques qu’ils peuvent entraîner. Par conséquent, quand j’entends dire : « C’était cancérigène, cela aurait dû être interdit », je réponds que l’on interdirait beaucoup de choses dans notre pays. En revanche, si on pense qu’il y a un risque malgré les protections, on doit interdire et nous ne l’avons vu, malheureusement, que beaucoup plus tard. »

Dans l’affaire de l’amiante, l’État a commis un double manquement :
- l’absence de suivi suffisant par l’inspection du travail de la dangerosité des poussières d’amiante, qui a eu pour conséquence la méconnaissance de l’ampleur de la contamination et le manque d’évolution de la réglementation ;
- l’inapplication par l’État des principes de prévention et de précaution.

Les mots clés que j’ai retenus à la lecture des documents sont « le risque » et « usage contrôlé ».
- La gestion du risque de l’amiante en 1977 : M.Aubry essaie de se justifier et se retranche derrière la méconnaissance de ce risque à l’époque mais la responsabilité de l’état est engagée car même si les normes ont été abaissées, la gestion du risque a été insuffisante voire lacunaire.
De 1975 à 1995, aucune étude scientifique n’a été diligentée par le ministère, aucun contrôle, de plus, rien n’est fait pour vérifier l’efficacité de la 1ère réglementation amiante. L’état n’a cherché ni à informer les travailleurs, ni à vérifier l’impact de cette loi. Il ne s’adjoindra jamais d’expert autonome. Ce sont les industriels de l’amiante et leurs lobbys qui seront à l’œuvre. La veille sanitaire a été confiée au privé. En résumé, ce décret dont Mme la Ministre est si fière est défini par le rapport du sénat en ces termes : «  Le décret de 1977 : l’effet démobilisateur d’une réglementation tardive, insuffisante et de toute façon mal appliquée ».

- Deuxième terme pour moi derrière lequel se retranchent les décideurs pour se dédouaner de leur responsabilité «  l’usage contrôlé » de l’amiante qui a très vite débouché selon les termes employés par certains sociologues sur « une longue période muette ». A partir de 1977, en effet, un choix s’imposait clairement : « continuer à utiliser le matériau ou opter pour une autre voie ». La France a choisi, malgré les risques, l’usage contrôlé de l’amiante. «  L’État s’est satisfait d’une réglementation sans vérifier qu’elle permettait une protection efficace dans tous les secteurs, il n’a pas cherché à comprendre, au vu des éléments statistiques dont il disposait pourquoi une épidémie se développait malgré les mesures d’usage contrôlé. Il n’a pas fait appel aux instances publiques de recherche, aux services de l’inspection du travail, ou bien encore à ceux de l’assurance maladie. Il s’est gardé de diffuser une information précise à tous les travailleurs, les mettant en garde contre les dangers de l’amiante alors que son caractère cancérigène était connu. »
Ce choix politique a débouché sur la création du CPA, véritable lobbying de l’amiante, ce « lobby de l’amiante assurait qu’il s’agissait d’un produit merveilleux, mais qu’il valait mieux le gérer pour en réduire le risque. M. Moyen avait dit aux industriels et à quelques médecins : « Il faudrait que l’on ait une structure informelle où tous les gens qui ont à débattre du problème de l’amiante se réunissent périodiquement, fassent le point et améliorent la gestion de l’amiante ».
Ce comité se compose certes des professionnels de l’amiante mais également des scientifiques, des représentants syndicaux, et même des envoyés des ministères concernés. Tout cela va donner du crédit à ce comité qui va prôner l’usage contrôlé et l’idée des industriels selon laquelle « en gros, en prenant des précautions, les produits à base d’amiante ne sont pas dangereux ». Le CPA va donc s’efforcer de promouvoir une utilisation raisonnée de l’amiante. Ce faisant, il minore le risque pour retarder l’avènement d’une réglementation plus contraignante. « C’est le temps de l’inertie orchestrée ».


Forum bouton radio modere abonnement

forum vous enregistrer forum vous inscrire

[Connexion] [s’inscrire] [mot de passe oublié ?]

SPIP3  Mise à jour : le 26 avril 2024 | Chartes | Mentions légales | A propos