Une inondation, de volonté divine

L’histoire se passe en 2010, dans un village du nom de Campo de la Cruz, au nord de la Colombie. Ce village se situe au confluent du Rio Magdalena, un grand fleuve qui coule vers le nord et le Canal del Dique, large et profond canal navigable, construit par les Espagnols. Le village est en contre-bas du canal. Quand la berge a cédé sous la pression, d’immenses quantités d’eau s’abattirent sur le village. Le choc a été d’une grande violence, entrainant morts, destructions et pertes de biens, des déplacements de familles entières pendant de long mois.
Ce qui a attiré notre attention était dans le récit, par les habitants, de la catastrophe « naturelle [1] ». Nous pensions y trouver des reproches au gouvernement, son manque d’anticipation. Rien de tel. C’était une catastrophe envoyée par Dieu ! Une punition divine, à l’encontre des humains qui se seraient égarés (comme c’était fréquemment le cas pour les pestes, avant le XIXème siècle).
Plutôt que de commenter ce fait, voici quelle est notre hypothèse [2] : ce type d’explication « surnaturelle » est, en réalité, le révélateur d’une situation de conflit entre conceptions de la société, avec des systèmes de pensée (et de valeurs) contradictoires. Durkheim proposa le terme d’anomie (une crise profonde), s’appliquant à des situations de normes sociales non-opérantes, de perte de repères…, Max Weber parle de « désenchantement ». Un conflit existerait, dans les schémas de pensée, entre la modernité, véhiculée par les médias et l’école, l’offre commerciale, les réseaux sociaux et une vision plus dans une tradition religieuse et morale, amenant une « chaleur » sociale (en référence encore à Durkheim). Une sécularisation incomplète de la pensée des ruraux se heurte à de nouvelles règles sociales, issues de conceptions sécularisées, comme si le Monde leur était moins compréhensible, nous pourrions dire métaphoriquement, que le Monde ne leur « parle » plus. Le philosophe canadien Charles Taylor, dans son ouvrage L’Age séculier, l’explique comme une fermeture sur soi, sur sa nouvelle individualité, alors qu’une conception plus poreuse de l’existence [3] prévalait dans la période prémoderne, ce qui faisait que le corps exposé au Monde pouvait percevoir ses signaux [4]. Le changement de « mentalités » ne peut se concevoir comme si on actionnait un bouton à bascule. La culture peut se trouver en décalage pendant de longues années, associée à des tensions et un malaise social qui se répercute sur le plan cognitif.

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Notes

[1Je parle ici du point de vue du scientifique occidental

[2Car nous travaillons sur ce cas, sur le terrain

[3|e terme est de Charles Taylor

[4Le cas disons extrême pourrait être représenté par l’animisme, qui considère les autres êtres comme disposant d’intériorités, avec lesquelles il est possible de communiquer

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