Dans les considérations relatives à l’exposition comme pour l’établissement de fonctions doses-réponses qui dérivent de travaux en toxicologie, la notion de variabilité représente un enjeu majeur que la modélisation ne peut pas toujours représenter.
En épidémiologie, on chercher grâce à la modélisation, à étudier s’il existe une relation entre un facteur de risque et un effet sanitaire. On cherche alors à exprimer au travers d’une équation la relation entre ces deux facteurs. Si un modèle de régression est en théorie toujours possible, il ne donne aucune certitude sur la capacité de la courbe ainsi calculée à représenter la variabilité de la situation observée.
En analysant la dispersion des points autour de la courbe, on pourra juger de la capacité explicative du modèle. S’il existe une forte dispersion des valeurs étudiées autour de la moyenne, c’est que certaines observations qui influencent le résultat n’ont pas été capturées par le modèle. Autrement dit, les différents facteurs explicatifs considérés ne permettent d’expliquer qu’un pourcentage restreint de la variabilité d’un effet sanitaire, dans le cas qui nous intéresse.
La modélisation est donc nécessairement une simplification de la réalité. Ce sera une forme de moyenne que l’on pourra affiner si l’on parvient à identifier les facteurs qui influencent la variabilité des résultats.
Or cette variabilité joue un rôle à de très nombreux niveaux :
Variabilité des circonstances d’exposition : variabilité entre groupes d’individus, variabilité au sein d’un groupe d’individu et même variabilité de l’exposition pour un même individu au cours du temps
Variabilité entre les individus : âge, paramètres génétiques, mode de vie, paramètres socio-économiques, etc…
Si l’on arrive à appréhender ces facteurs de variabilité, ils peuvent entrer dans la modélisation ou être corrigés (facteurs de confusion). En revanche si l’on ignore la nature et la source de ces variabilités, l’étude de corrélation comportera des biais qu’il sera impossible d’écarter.
L’enjeu de la prise en compte de cette variabilité en épidémiologie environnementale est avant tout de mieux identifier les populations les plus exposées et de capter au mieux la variabilité dans les fonctions exposition-risque.
La modélisation non linéaire à effet mixte permet de prendre en compte les effets dits fixes tout en prenant en compte quelques effets aléatoires liés aux variations interindividuelles et intra-individuelles. Ces considérations sont importantes pour mieux comprendre les déterminants de l’exposition, éviter de passer à côté de certains risques pour certaines populations très exposées (faux négatifs noyés dans l’effet de moyenne) et améliorer la protection des populations par les mesures de gestion du risque. Même si ce type de modélisation permet d’affiner un peu l’analyse et de prendre en compte une certaine forme de variabilité, il est impossible de capturer l’ensemble des situations possibles dans un modèle.
Nous avons pu voir l’enjeu de la variabilité et du défi posé à la modélisation en matière de bio-surveillance. La surveillance biologique peut être utilisée pour évaluer la quantité de produits chimiques dans le corps en mesurant la concentration d’un polluant traceur ou de ses métabolites dans les tissus ou sérums biologiques et l’effet biologique qui apparait comme un résultat de l’exposition humaine au polluant. On peut utiliser un modèle biologique de type pharmacocinétique (PBPK) pour représenter les comportements des polluants dans le corps humain. La concentration d’un biomarqueur devrait être le reflet de l’exposition individuelle et intègre certains facteurs de variabilité. Cette approche ne s’applique aujourd’hui qu’à certains polluants. Mais étant donné la variabilité des processus de métabolisation, la variabilité interindividuelle ou encore des niveaux, périodes et fréquences d’exposition, de tels modèles ne peuvent tout simplement pas capturer la complexité de ces variables dépendantes et imbriquées.
Cette analyse de l’existence de défaut de modélisation devrait donc appuyer des mesures conservatoires dans les stratégies de gestion des risques. C’est d’ailleurs une observation que nous avons pu faire toxicologie, pour l’établissement de doses journalière admissibles où l’on reconnaît que les fonctions doses-réponses établies sur des espèces ne permettent pas de prédire avec certitude la variabilité des effets que l’on observera sur une autre espèce. Pour prendre en compte la variabilité inter-individuelle et intra-indidividuelle, on introduit donc des facteurs de sécurité.