De la « soutenabilité forte » à la « soutenabilité faible » : le rôle joué par la « croissance économique »

Directement issue du concept de développement durable tel qu’il a été défini à l’origine dans le rapport Brundtland, le concept de « soutenabilité forte » suppose que l’on laisse intacte la richesse naturelle dont nous avons hérité. Au sens de la notion de soutenabilité forte , aucune des trois dimensions (assimilées économiquement à des « capitaux ») du développement durable (économiques, environnementales, et sociales) ne doit diminuer.

Mais il a rapidement été clair qu’une telle contrainte serait trop forte pour les économistes et le monde des affaires qui lui préférèrent le concept de « soutenabilité faible », conception du développement durable opposée à celle de la notion de soutenabilité forte et qui admet le principe de substitution entre les stocks de capitaux (économiques, environnementaux et sociaux) du développement durable, du moment que la somme totale des stocks reste inchangée. Ainsi, selon cette conception, il est possible de détruire le stock de capital environnemental si on le remplace par des technologies qui fournissent les mêmes services. Oo fait donc ici explicitement un pari sur la croissance et son générateur, le progrès technique , qui viendront améliorer avec le temps le bien-être des générations. Il ne faut pas oublier qu’il n’y a d’économie que parce qu’il y a des raretés, donc des prix fixés sur un marché où vont se confronter l’offre et la demande de différents biens ou services (facteurs de production compris). Et la croissance est d’abord une lutte contre la rareté par la mobilisation de facteurs de production que sont le travail, le capital, la terre (la nature), la technologie.

Les économistes classiques, Ricardo, Malthus, Mill, pensaient que, du fait de la rareté de la nature (des terres en l’occurrence), l’économie finirait par s’arrêter. C’était sans compter le progrès technique. Accroissant la productivité du travail, il permettait aux humains de consommer au-delà du minimum vital, minimum qui leur permettait tout juste de se reproduire avec leurs enfants et de réaliser des surplus.

Utilisant la logique de la « soutenabilité faible », tout en cherchant à prendre la voie de la croissance, on calcule également la « rente d’exploitation » de la Terre : la différence entre le prix de vente des ressources naturelles et leur coût d’exploitation, dite encore « rente d’Hotelling ». On peut considérer simplement que cette rente est le prix de vente de la ressource. Par exemple, la « rente » pétrolière, le prix du pétrole, est ce qui est pris en valeur à la Terre par la génération actuelle. L’ensemble de cette rente doit être systématiquement réinvesti dans du capital de substitution : la recherche, permettant notamment d’économiser ou de mettre en œuvre de nouvelles sources d’énergies, elles-mêmes facteurs de bien-être pour les générations futures (au moins égal à celui dont la génération actuelle profite de par l’exploitation de cette ressource pétrolière). Mais il n’est nulle part ici question des émissions générées par l’usage du pétrole, le CO2 notamment. Son accumulation dans l’atmosphère est source de nuisances, donc de pertes de bien-être à long terme pour ces générations futures, malgré toute politique basée sur la croissance visant à économiser ou remplacer la ressource.

Ceci nous oblige justement à nous questionner sur les rapports complexes qui existent entre croissance économique, visant à lutter contre la rareté des ressources, et la pollution, qui en serait sa conséquence.

Le lien entre la croissance économique et la pollution est étroit, car il exprime une interaction permanente entre les activités humaines et le milieu naturel. Comment faut-il comprendre la croissance ? La croissance économique est-elle responsable de la dégradation de l’environnement ? Face à la dégradation de l’environnement, faut-il prôner la décroissance ? Ces questions se posent à l’économiste qui étudie la pollution. Les réponses sont forcement controversées, car pour les uns la croissance est un simple instrument pour atteindre le bien-être économique le plus élevé possible, mais pour les autres elle est devenue une finalité destructrice. Une analyse économique de l’environnement est donc fondamentalement confrontée à la question du sens de la croissance économique. Est-elle à l’origine de la pollution ou est-elle son remède ?

Pour répondre à ces questions,il va falloir montrer comment les économistes représentent théoriquement la croissance. Ensuite, discuter du lien qui peut être établi entre la pollution et la croissance. Sur cette toile de fond, comment faut-il également comprendre le débat sur la décroissance ?

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