Contrairement à la théorie des lois naturelles dont découle une économie centrée exclusivement sur l’usage de la terre par l’agriculture, l’approche via les marchés efficients prend ses racines dans la mécanique. La découverte de la mécanique à l’âge moderne (par Galilée, Descartes, Newton) est avant tout un recul du finalisme. Elle est aussi unification de l’objet de la science : corps célestes et monde sublunaire cessent d’être expliqués par des principes différents et relèvent désormais l’un comme l’autre de l’explication mécaniste. La nature d’une chose n’est plus sa forme orientée vers sa fin, mais sa structure, c’est-à-dire un rapport déterminé de grandeurs mesurables. On passe ainsi d’une interprétation fondamentalement qualitative de l’univers et de la nature à son appréciation quantitative. La mécanique va substituer à un monde de mouvement hétérogène de qualités et de vertus un monde unifié et quantifié, au mouvement homogène et réversible. L’univers mécaniste qui en résulte s’explique par les seules dimensions de la grandeur, de la masse et du temps. Ce dernier est fondamentalement réversible. L’univers n’existe que dans la mesure où il est quantifiable. Le qualitatif en est rejeté. La connaissance rationnelle qui en découle ouvre la porte à l’action sans limite de l’homme sur l’univers physique. Cette exigence de rationalité amène à concevoir sur un modèle unique non seulement l’explication des phénomènes physiques, mais aussi celle du vivant (les animaux-machines) ou celle des phénomènes économiques et sociaux. La mécanique classique sous-tend donc tout l’édifice de la théorie économique standard d’inspiration néoclassique et donc de toute l’analyse conventionnelle des ressources naturelles et de l’environnement.
Avec la découverte par Newton en 1687 de l’attraction universelle, naît la mécanique newtonienne, ou mécanique rationnelle, dont le paradigme va dominer l’ensemble de la science jusqu’au XIXe siècle. Dès lors, le projet cartésien consistant à ne plus subir aveuglément les lois imposées par la nature, mais à tenter de les comprendre, va s’organiser autour d’une loi unique, la loi de gravitation universelle, censée organiser l’univers entier, du monde de l’inanimé à celui du vivant, et en assurer l’équilibre. Selon celle-ci, il n’existe pour l’ensemble de l’univers qu’une seule trajectoire, répétitive, réversible et déterminée à l’avance. L’autorégulation de cet univers est totale, sa stabilité aussi. Même s’il subit en un point quelconque une perturbation momentanée, il retourne immédiatement et fatalement à l’équilibre. Sa position, comme paradoxalement son mouvement, sont figés pour toujours. Il s’agit en fait d’un modèle statique supposant la réversibilité du temps et excluant toute possibilité d’évolution. Le temps est cyclique et nous sommes bien dans le temps de la réversibilité et de l’éternel retour.
L’influence de ce paradigme sur l’analyse économique classique, puis ensuite « néoclassique », va conduire à une appréhension « économiciste » de la nature, dont on peut saisir toutes les conséquences au travers de l’analyse dominante de l’économie des ressources naturelles et de l’environnement. Ce paradigme mécaniste influence fortement les théories économiques contemporaines sa suprématie. Celles-ci vont chercher à découvrir, sur le modèle newtonien, la loi gouvernant l’économie et à rendre ainsi autonome la sphère économique.
La mécanique se trouve donc à la base de la conceptualisation et de la formalisation, non seulement de la micro-économie, mais également de la modélisation macro-économétrique. L’exemple du hamiltonien [1], au cœur de la formalisation néoclassique et transposé de la mécanique à l’économie en 1929 par Tinbergen, est à cet égard particulièrement éclairant. Une loi unique, celle de la mécanique, semble donc régir à la fois la nature économique et la nature physique des phénomènes.