le théorème de Coase et la négociation bilatérale

La position de Pigou au travers de son concept de PPP n’implique aucune espèce de compensation des dommages subis par la victime du fait de l’existence de l’externalité et le prélèvement fiscal suffit à assurer la disparition de cette dernière. Si l’on exige que le produit de la taxe compense effectivement la perte de bien-être subie par la victime, il est clair que l’on entre dans un monde symétrique caractérisé par des relations bilatérales entre émetteur de la déséconomie externe et « victime ».

Pour Coase [1], l’internalisation ne peut provenir que d’une négociation bilatérale entre émetteur et victime, c’est-à-dire d’un marchandage entre les agents économiques concernés, pourvu, précise-t-il, que le coût d’organisation d’une telle négociation ne soit pas prohibitif et en tout cas ne dépasse pas le gain social qu’on peut en attendre. Il faut insister sur cette condition de nullité des coûts de transaction (ou d’organisation de la négociation) qui est essentielle à la démonstration de Coase et est parfois omise par certains commentateurs.

Ce qui préoccupe en effet Coase, dans la critique qu’il articule de la position traditionnelle de l’internalisation, c’est le caractère unilatéral de la solution fiscale pigovienne. Il écrit : « la question est communément posée dans les termes suivants : A inflige un dommage à B et on doit décider comment restreindre les activités de A. Mais ceci est erroné. Nous sommes confrontés en réalité à un problème de nature réciproque. Éviter de léser B lésera A. La vraie question à se poser c’est de savoir si l’on doit permettre à A de léser B ou à B de léser A ».

Pour Coase, seule la négociation bilatérale donne lieu par définition - par construction pourrait-on dire - à deux variantes symétriques :

-  variante 1 : le versement par l’émetteur de l’externalité d’une indemnité compensatoire des dommages subis par la victime du fait du maintien de son activité ;

-  variante 2 : le versement par la victime potentielle d’une somme susceptible de dissuader l’émetteur de se livrer à son activité nuisible.

Le théorème de Coase consiste à dire que, dans l’un comme dans l’autre cas, c’est le montant que chacun accepte de recevoir et/ou de payer qui détermine le point d’équilibre de la négociation. Ce point est identique dans l’un ou l’autre cas et constitue un optimum. Le type de variante 1 ou 2 qui s’établit au cours de la négociation dépend, nous dit Coase, de l’allocation initiale des droits de propriété entre les agents, ce qui revient à poser a priori une règle de responsabilité.

Dans le cas d’une pollution issue de A et touchant B, si A possède les droits de propriété sur l’environnement, poursuit Coase, alors B, la « victime », doit le dédommager pour l’empêcher de nuire. Si c’est B au contraire qui possède ces mêmes droits, A doit alors compenser les dommages subis indûment par B.

La validité du théorème de Coase nécessite l’absence de coûts de transaction. Dans le cas où les coûts de transaction sont élevés et dépassent les bénéfices que les parties peuvent tirer d’une négociation, aucune négociation n’aura lieu. Ce résultat, qui peut paraître évident, pose cependant un problème logique à l’argumentation de Coase. Comme le rappellent Pearce et Turner : « si la négociation a lieu, le montant de l’externalité qui en résulte est optimal en vertu du théorème de Coase. Si elle n’a pas lieu, on est aussi à l’optimum, pour la simple raison que les coûts de transaction dépassent alors les bénéfices nets attendus de la négociation. On a donc une théorie irréfutable de l’externalité optimale : ce qui veut dire que toutes les externalités que l’on peut observer sont optimales et qu’il n’y a donc aucune raison de faire quoi que ce soit à leur égard. Mais cette démonstration faisant appel à des propositions irréfutables est elle-même irréfutable ». [2]

Nous voyons déjà dans l’analyse de Coase l’accent mis sur les droits de propriété. Cet aspect est développé par Dales qui fournit à la fois une définition nouvelle de l’externalité et un nouveau mode d’internalisation de celle-ci.

2 Messages de forum

  • Depuis le début des cours sur l’économie de l’environnement, j’ai l’impression de comprendre ce dont il s’agit mais de ne jamais adhérer totalement à la logique exposée. Je ne veux pas du tout rentrer dans des débats politiques, je cherche à mieux comprendre comment tout cela fonction.

    Je crois comprendre que l’objectif des cours est d’étudier les différentes méthodes mises en oeuvre par les politiques économiques pour répondre aux problèmes de pollution et d’épuisement des ressources. Alors j’essaie de rentrer dans chacun des théorèmes et postulats que je crois pouvoir trouver cohérents si on les rattache aux théories économiques classiques.

    Mais pour autant, ne peut on pas considérer (en laissant de coté le détail et la complexité des théories prises individuellement et qui sont certainement ingénieuses et porteuses de progrès) que le modèle de développement en lui même est contestable et donc qu’importe la mesure qu’elle soit compensatoire, normative, juridique ou d’ordre économique, elle sera de toute façon insuffisant, fausse ou en tout cas nulle puisqu’elle appartiendrait à un modèle qui comporte des limites ?

    Répondre à ce message

    • le théorème de Coase et la négociation bilatérale 10 avril 2013 11:34, par Laurent Dalmas

      Il y a des limites évidentes aux modèles (dont ceux exposés ici), et ce pour plusieurs raisons :

      - le modèle (qui est donc une maquette en modèle réduit de la réalité observée) est trop simplifié ("simple" ?) et évacue des hypothèses très importantes, considérées comme sans objet ou négligeables (d’où la naissance de modèles enrichis ou même de nouveaux modèles antagonistes dans leurs résultats et actions aux précédents) ;

      - le modèle est "orienté" (idéologiquement) ;

      - le modèle est... faux (ceux-ci disparaissent au fil du temps) ;

      rien n’empêchant deux de ces raisons, voire les trois, de se cumuler...

      Le but du cours n’est pas d’adhérer à un modèle (i.e. une représentation de la réalité) ou à un autre, mais de comprendre la logique qui est à la base de la plupart des politiques suivies dans le domaine de l’environnement et de la santé depuis une quarantaine d’années. Ce sont ces éléments, tirés de modèles (par définition simplificateurs) basés sur des concepts quelquefois discutables (et toujours discutés !), qui ont abouti entre autres à l’élaboration de taxes, à des versements de subventions et à la création et au fonctionnement de marchés de droits. Par exemple, en France, la création des Agences de bassin en 1964 (devenues par la loi de 1992 "Agences de l’Eau" est issue des raisonnements du Principe-Pollueur-Payeur, même si in fine elle n’a pas tout à fait répondu aux attentes à ce niveau (mais n’en est pas pour autant inefficace).

      Mettre en œuvre des actions, voire des politiques économiques, sans se servir de modèles, en impossible, même si les résultats ne sont pas forcément ceux attendus — mais également pour des raisons qui ne sont pas inhérentes au modèle sur lequel elles disent se baser (cf. les Agences de l’Eau justement)

      Répondre à ce message

Poser une question

Notes

[1COASE R.H., 1960, « The Problem of Social Cost », repr. in COASE R., The Finn, the Market and the Law, The University of Chicago Press, Chicago, 1988.

[2PEARCE D.W., TURNER R.K., 1990, Economies of Natural Resources and the Environment, Harvester Wheatsheaf, Hemel Hempstead, Hersl.

Plan du cours

SPIP3  Mise à jour : le 22 avril 2024 | Chartes | Mentions légales | A propos