Si la socialisation de l’exercice du pouvoir reposait sur les obligations réciproques, générées par les interdépendances, il ne permet pas, à lui tout seul, de comprendre le déroulement ultérieur des trajectoires. La visibilité de l’exercice du gouvernement, à partir de l’émergence du pouvoir civil, c’est transformé en principe de publicité, accordant le droit au citoyen d’assister à des délibérations publiques, dans toutes sortes d’assemblées, à différents échelons [1], sans droit d’intervenir. Cependant, il faut introduire d’autres évolutions majeures et j’en proposerai deux :
- Au XVIIème siècle, des penseurs se sont penchés sur les structures politiques ou de nouveaux régimes de gouvernement. Thomas Hobbes avait comme projet d’élaborer des règles qui ne pouvaient émaner que de la société elle-même, sans appui sur des sources extérieures, fussent-elles d’origine divine. C’est le principe d’autonomie (autos=soi et nomos=règle ou loi), à la base du courant libéral, progressiste à son époque. John Locke, contemporain de Hobbes, essaya de fonder une société sur la propriété privée (le travail est la source de toute propriété), avant qu’Adam Smith, un siècle plus tard, ne propose de la fonder sur la richesse monétaire (le travail est source de toute richesse) [2]. Mais, l’argent, devenu commodité (mais fictive), allait se transformer en capital (avec une productivité propre). L’argent peut s’accumuler et être converti en commodités, alors que le capital se réinvestit et produit des bénéfices à son tour. C’est le virage capitaliste, une capacité d’investissement, avec des conséquences sur la production et la consommation, qui connaissent un nouveau tournant, une accélération [3] .
- Il ne s’agit pas ici de faire un cours sur les théories économiques et leur évolution. Je m’attache à relier certains faits et d’examiner leurs conséquences ultérieures. Le cas de la séparation du politique et de l’économique a participé de ces processus, conférant au politique le rôle de garant du « bon » fonctionnement de l’économie [4]. Mais, quelle est la finalité de l’économie ? Qui décide des règles et des arbitrages ? Je me contenterais ici de mettre en avant, avec Karl Polanyi, qu’en définitif, la société a été mise au service de l’économie et ceci pose un problème car, a priori, on attendrait l’inverse. A ceci se sont ajoutées les idéologies néolibérales, avec une croyance aveugle à la rationalité du Marché [5], qui ne pouvait plus supporter les contraintes de la gestion publique, une tension toujours perceptible aujourd’hui, sous forme de rejet de toutes les réglementations qui entraveraient la croissance.
Pour revenir un instant sur la place qu’occupent les mentalités (en évolution), nous pouvons retrouver ce rejet de la régulation publique, tant chez Locke que chez Smith (indigné par l’extravagance du gouvernement), qui avaient en horreur toutes les activités non productives, dont celle des fonctionnaires, vus comme parasites du système [6]. Chez d’autres penseurs les cibles seront les rentiers, voire le clergé (entre autres), mais l’idée même me semble toujours vivante.